Hector a lu Accelerate! de John P. Kotter
Force est de constater que l’évolution de notre monde est de plus en plus rapide
Notre monde évolue. Si l’on regarde dans le rétroviseur, on s’apercevra que cela a toujours été le cas, bien sûr. Mais force est de constater que cette évolution est de plus en plus rapide : nouvelles technologies, nouveaux enjeux (politiques, financiers, sociaux, environnementaux), nouvelles réglementations, ruptures dans les habitudes de consommation… Les entreprises d’aujourd’hui doivent faire face à une accélération de l’environnement dans lequel elles avaient l’habitude d’évoluer. Accélération synonyme de menaces, nombreuses, variées et bien souvent imprévisibles ; mais également d’opportunités qu’il faut savoir saisir rapidement pour rester compétitif, aujourd’hui comme demain, dans une configuration économique drastiquement différente de celle du siècle dernier.
C’est sur ce constat qu’est basé Accelerate!, le dernier ouvrage de John Kotter (2014), professeur à la Harvard Business School. Ce gourou du leadership et de la transformation analyse le positionnement des entreprises face à cet environnement évolutif et nous interpelle : les anciennes méthodes – de définition de la stratégie, de prise de décisions, de conduite du changement – ne fonctionnent plus : il nous faut passer à des méthodes plus agiles pour accélérer, se transformer… et survivre.
Accélérer… Mais comment ?
Pour bien comprendre la méthodologie qu’il propose, M.Kotter nous invite à nous pencher sur le chemin parcouru par les organisations, de leur création à leur fonctionnement comme structure établie.
A sa création, une organisation s’articule autour de ses fondateurs – un ou plusieurs entrepreneurs – qui rallient à eux des personnes souhaitant contribuer à leur vision. Ce groupe de personnes va s’organiser en réseau : peu voire pas de lien hiérarchique, une activité gérée et enrichie par les initiatives de chacun et des personnes engagées autour d’un objectif commun. Cette structure en réseau permet à l’entreprise de faire preuve de la rapidité et de l’agilité nécessaires à sa différenciation face à ses concurrents.
Une fois son activité lancée et son développement amorcé, cette structure se retrouve face à de nouvelles contraintes pour délivrer ses produits ou services et satisfaire ses clients. Afin de réagir à ces nouvelles exigences, ce fonctionnement en réseau se transforme, laissant la place à des procédures, des processus et une organisation aptes à délivrer des résultats de manière efficace et fiable : une structure hiérarchique émerge, qui intéragit dans un premier temps avec le réseau existant, pour l’estomper peu à peu puis le remplacer durablement.
Une fois cette configuration établie, l’entreprise rencontre de nouveaux défis qui l’amènent à mettre en place des solutions pour créer et exécuter sa stratégie : comités de planification, départements de gestion de projets ou de conduite du changement et task-forces transverses viennent compléter la structure hiérarchique dans cette optique. Et ce modèle peut fonctionner… Jusqu’à un certain point : dans ce monde qui évolue de plus en plus vite, l’accumulation de dispositifs ad hoc agissant en silos dans une structure hiérarchique figée finit par alourdir et ralentir l’entreprise, la privant peu à peu de l’agilité et la rapidité qui lui permettaient au départ de saisir les opportunités en milieu concurrentiel.
« Adapter les méthodologies habituelles ou ajouter des turbos à un système hiérarchique unique, c’est comme reconstruire un éléphant pour qu’il devienne à la fois un éléphant et un guépard. Ca n’arrivera jamais. »
Pourtant, certaines entreprises déjà établies semblent avoir trouvé la solution : elles arrivent à conserver leur agilité et à saisir des opportunités dans un environnement mouvant. Ce sont ces entreprises que John Kotter a étudiées pour nous exposer les mécanismes d’un modèle combinant l’efficacité et la fiabilité propres à une structure hiérarchique et l’agilité et la rapidité du fonctionnement en réseau : un système dual permettant au réseau et à la hiérarchie d’opérer de concert.
Ce système dual, sur quoi est-il basé ?
Accelerate! nous propose donc une démarche pour mettre en place et faire vivre ce système dual. Basée sur l’étude des entreprises qui l’ont expérimentée, cette démarche se résume en quelques mots : cinq principes, huit accélérateurs… et des Hommes.
Cinq principes pour engager les individus dans une dynamique de changement
L’enjeu est de taille : nous devons aller plus vite, et plus loin. Il faut donc plus de personnes se préoccupant des questions stratégiques : de nombreux agents du changement, pas uniquement les habituels désignés ; sans pour autant faire de cette accélération une charge supplémentaire pour l’entreprise. Oublions donc les nombreuses ressources dont une partie du temps est allouée à un projet… Ce sont des volontaires qu’il nous faut !
Mais comment mobiliser des personnes sur des initiatives stratégiques, en sus de leur charge de travail quotidienne ?
La première clé sera de travailler sur l’état d’esprit collectif. Ces personnes doivent être en mesure de vouloir être des agents du changement et de sentir qu’elles en ont la possibilité – la possibilité… pas l’obligation. C’est cet esprit volontaire et cette envie de travailler avec d’autres à la réalisation d’un objectif commun qui donnera au réseau l’énergie de fonctionner.
La deuxième clé sera de mobiliser les énergies individuelles. Compter sur l’investissement personnel d’individus requiert de les convaincre : sur le plan rationnel, bien sûr, mais surtout sur le plan émotionnel, en faisant appel à leur désir de contribuer à un changement positif, de se projeter vers un avenir meilleur – pour l’entreprise et pour eux – et par conséquent de donner du sens à leurs efforts.
Pour coordonner ces énergies et les faire avancer dans la même direction, le réseau devra faire appel à un leadership fort. Non pas à la manière de la structure hiérarchique, plutôt orientée vers un management « traditionnel », mais bien en utilisant d’autres leviers : la vision, l’innovation, l’implication, l’inspiration…
Enfin, si ces deux systèmes semblent opposés – ils n’utilisent pas le même langage, les mêmes processus et n’ont pas les mêmes objectifs – ils ne peuvent fonctionner qu’en étant appréhendés comme un tout : deux systèmes, une organisation. Organisation rendue une et unique par un flux constant d’informations et d’activités entre les deux systèmes, ainsi que des acteurs investis en parallèle dans ces deux systèmes pour parer au fonctionnement en silos et à la rigidité des couches hiérarchiques.
Une démarche structurée en huit accélérateurs pour enclencher le cercle vertueux de la transformation
Afin de créer ce système dual, M.Kotter nous propose de revisiter les huit étapes clés de la conduite du changement qu’il a décrites dans l’un de ses précédents ouvrages Leading Change: why transformation efforts fail (1995) pour les utiliser comme « accélérateurs ». Revisiter, car si ces huit étapes sont utilisées de manière séquentielle pour répondre à un changement épisodique, sont guidées par un petit groupe de personnes et fonctionnent dans le cadre d’une hiérarchie traditionnelle, les accélérateurs au contraire seront implémentés de manière continue, par un grand nombre de personnes et avec l’agilité propre au système en réseau.
Créer un sentiment d’urgence autour d’une Opportunité exceptionnelle.
Créer un sentiment d’urgence, c’est mobiliser autant d’énergies que possible autour de l’Opportunité, avec un grand « O » ; celle qui donnera un objectif commun à des personnes en provenance de toutes les strates hiérarchiques en les convainquant qu’il existe un besoin stratégique de changer, que ce besoin est urgent et que l’entreprise a la possibilité d’y répondre rapidement. Si le constat de l’Opportunité peut être réalisé par le top management, il devra être véhiculé par différents acteurs du management, grâce à une communication positive, claire, concise et énergisante.
Créer et maintenir une coalition de tête.
La coalition de tête (Guiding Coalition, « GC ») est une équipe de précurseurs qui croient dans la possibilité – et la nécessité – pour l’entreprise de changer. Ces volontaires, issus de différents départements et strates hiérarchiques et disposant d’un large panel de compétences, auront un double rôle dans le réseau. Attirer et guider de nouveaux volontaires pour conduire le changement ; mais également, rassembler et traiter un grand nombre d’informations externes et internes pour décider des initiatives stratégiques à mener et définir la marche à suivre pour les mettre en œuvre. Pour ce faire, chacun des membres de la coalition agit sur un pied d’égalité : il n’y existe pas de lien hiérarchique, les personnes disposant des meilleures informations, compétences, connections ou motivations sur un sujet en prenant la responsabilité.
Formuler une vision stratégique et développer des initiatives de transformation pour capitaliser sur l’Opportunité.
La vision stratégique est l’étoile du berger, le Nord sur la boussole du réseau. Représentant la cible à atteindre, l’idéal pragmatique auquel l’entreprise pourrait ressembler si elle accomplissait ce changement, elle doit être stratégiquement intelligente et éveiller une résonance émotionnelle forte chez les collaborateurs de l’entreprise. Cette vision – établie en collaboration avec le top management et des employés de divers horizons hiérarchiques et fonctionnels – permettra de définir et de mettre en œuvre des initiatives stratégiques identifiées comme critiques et alignées avec le fonctionnement et les ambitions de l’entreprise.
Communiquer sur la vision pour créer l’adhésion et attirer une « armée de volontaires ».
Chacun le sait : les projets de transformation peuvent parfois faire l’objet d’un certain scepticisme, voire d’un certain cynisme lorsqu’il sont présentés par une direction à ses collaborateurs. C’est pourquoi faire preuve de créativité et d’engagement dans la communication de la vision est capital pour mobiliser un grand nombre de personnes au sein du réseau. Un message mémorisable et authentique mettant en exergue les enjeux forts de la transformation est un début : il permettra notamment de convaincre les « early adopters », ceux qui croient dans la possibilité d’un changement et souhaitent s’investir dans une dynamique novatrice. Pour permettre à ce message de se propager de manière virale, il faudra néanmoins favoriser sa transmission : par ses caractéristiques intrinsèques, insistant sur la proposition de partager un investissement fort dans un projet commun, mais aussi en privilégiant les canaux de communication informels, plus horizontaux et donc plus enclins à éveiller la confiance des collaborateurs. L’association de cette communication avec le partage d’un sentiment d’urgence sera clé pour faire adhérer une armée de volontaires au système en réseau.
Accélérer le mouvement autour de la vision et de l’Opportunité en s’assurant que le réseau fasse tomber les barrières.
Le réseau a pour objectif d’agir vite et efficacement. La polyvalence des équipes de volontaires est un facteur clé pour proposer rapidement des solutions adaptées aux besoins des opérationnels ; mais encore faut-il pouvoir mettre ces dernières en œuvre aussi rapidement qu’elles ont été élaborées. Pour ce faire, le réseau a besoin de fonctionner main dans la main avec la structure hiérarchique, qui se positionne comme un facilitateur d’action. Cette structure fournit en effet les informations utiles au ciblage de l’initiative, le feed-back conditionnant sa conception en cohérence avec les besoins opérationnels et, in fine, le budget et les ressources nécessaires à son implémentation. Elle se doit d’aplanir les éventuelles difficultés rencontrées par le réseau pour rendre ses actions plus efficaces.
Célébrer les victoires visibles et significatives à court terme.
Pour perdurer sur le long terme, le réseau devra apporter la preuve de son efficacité et des résultats concrets qu’il permet d’obtenir. Et pour vaincre les scepticismes, il devra le faire rapidement. Au-delà de la crédibilité que les victoires à court terme apporteront, elles permettront également de conforter les volontaires investis dans leur idée que leurs initiatives peuvent réussir… Et d’en convaincre de nouveaux, qui viendront enrichir l’armée de volontaires existante. C’est pourquoi il est important de communiquer sur ces victoires, celles qui sont évidentes, sans ambiguïté quant à leur origine et clairement en ligne avec la vision définie : le succès amène le succès.
Ne jamais se relâcher. Continuer d’apprendre de ses expériences. Ne pas déclarer victoire trop tôt.
Ces premières victoires seront le démarrage d’un réseau fort et performant, les premiers indicateurs du succès des initiatives menées. Mais elles ne sont surtout pas une raison pour se reposer sur ses lauriers ! Notre monde évolue, perpétuellement et rapidement. Le réseau et ses initiatives stratégiques se doivent donc d’être tout aussi évolutifs. Le sentiment d’urgence est clé pour maintenir le mouvement et conserver la détermination du réseau à avancer. Sans cette urgence, la tentation serait grande de faire une pause, ralentir, pour finalement s’arrêter complètement et se laisser dépasser par un environnement changeant. L’entreprise doit continuer à mettre en place ces initiatives et à en identifier de nouvelles pour ne pas prendre le risque de se recentrer uniquement sur les activités de la hiérarchie, qui pourraient vite reprendre le dessus…
Institutionnaliser les changements stratégiques dans la culture de l’entreprise.
Continuer à développer des initiatives stratégiques est donc capital… Mais il faut également les amener à leur terme. Pour considérer une initiative achevée, il faudra que celle-ci soit pleinement incorporée aux activités quotidiennes de l’entreprise, qu’elle soit partie intégrante de sa culture et de ses modes de fonctionnement. A titre d’exemple, il faudra qu’une nouvelle direction recommandée et conçue par l’armée de volontaires soit implémentée et opérationnelle au sein de l’organigramme existant ; une nouvelle méthodologie exploitée dans un cadre défini et avec des procédures associées, etc. Cette mise en œuvre concrète fonctionnera sur le long terme dès lors que l’initiative aura produit des résultats visibles pour projeter ses utilisateurs vers un meilleur futur stratégique.
Au cœur du changement : des Hommes
Si l’approche organisationnelle d’Accelerate! est très méthodologique – avec ses cinq principes et ses huit accélérateurs – sur la forme, le fond de cet ouvrage reste avant tout basé sur l’humain et la valorisation de son capital. Pourquoi ? A la lecture de ce texte, deux éléments se distinguent clairement.
Le premier est que le succès du système en réseau est intrinsèquement conditionné par notre côté humain, nos émotions. D’une part parce que celles-ci sont les clés de la mobilisation : des précurseurs, ceux qui veulent bien croire dans un système différent, qui s’enthousiasment de la promesse d’un avenir meilleur et qui souhaitent déployer leur énergie pour s’investir dans un projet commun ; puis de l’armée de volontaires, conquis progressivement par les messages véhiculés par des collaborateurs en qui ils ont confiance. Or ce sont ces volontaires qui sont la pierre angulaire du système en réseau. Car ce sont eux qui ont la connaissance fine des activités de l’entreprise, les relations, la crédibilité et l’influence nécessaires pour faire avancer et croître le nouveau système. Ils sont souvent les mieux placés pour identifier les problématiques et proposer des solutions pragmatiques pour les résoudre. D’autre part, seule la communication constante entre les deux systèmes – à tous les niveaux hiérarchiques, qu’elle soit formelle ou informelle – permet aux deux structures d’opérer de concert dans une même organisation. Et ce sont la richesse et la fluidité des interactions entre les individus qui en garantissent le succès.
Le second est qu’au-delà des émotions auxquelles il fait appel, ce système entraîne les personnes qui en font partie dans un cercle vertueux d’accomplissement professionnel, jusque dans les travaux quotidiens menés au sein de la hiérarchie. Du fait de leur contribution aux activités du réseau, les volontaires sont amenés à échanger avec un nombre accru d’interlocuteurs et à sortir du cadre pur de leurs affectations habituelles, permettant le développement de nouvelles compétences et d’aptitudes managériales et de leadership. Par ailleurs, la satisfaction d’œuvrer pour un bien commun amène les volontaires à redoubler d’énergie dans leurs travaux ; ceux réalisés pour le réseau, mais également leurs travaux quotidiens accomplis dans le cadre des activités de l’entreprise. Cet investissement devient donc source de performance pour les deux systèmes, ainsi qu’une source d’épanouissement personnel pour les volontaires au sein de la hiérarchie, dans laquelle leurs compétences et expériences peuvent être valorisées.
Enfin, tout comme l’être humain, le réseau est un système évolutif et apprenant. Il peut commencer humblement – sur un périmètre restreint ou en traitant de problématiques d’implémentation plutôt que de stratégie – et croître progressivement, au gré du temps, des besoins de l’entreprise ou des contraintes de son environnement.
Comment aller plus loin ?
Bien que déjà très riche, cet ouvrage mérite néanmoins d’être complété par d’autres auteurs pour une approche plus opérationnelle de certains des volets qu’il décrit, notamment sur la formulation et la communication de la vision (3ème et 4ème accélérateurs). Simon Sinek et son livre Start with why: how great leaders inspire everyone to take action (2009) nous indiquent par exemple comment donner du sens à la vision en commençant par le « Pourquoi », afin de provoquer l’adhésion des personnes ciblées. Des auteurs tels que Malcolm Gladwell (The tipping point, 2000) ou Geoffrey Moore (Crossing the Chasm, 1991) proposent en complément des méthodologies détaillées pour propager les messages au plus grand nombre via le principe de capillarité : une approche initialement très orientée marketing produit, qui peut néanmoins trouver son application simplement lorsqu’elle est transposée à des cas de transformation d’entreprise.
Accelerate! est l’aboutissement de travaux d’analyse menés sur le long terme : amorcé avec Leading Change en 1995, le concept des huit accélérateurs est ici approfondi et complété pour enrichir la vision du changement présentée lors de sa parution et mieux répondre aux enjeux actuels des entreprise.
Il est d’autant plus intéressant qu’il est basé sur l’observation de cas réels : il ne s’agit pas simplement d’une démarche théorique proposée par son auteur mais bien d’une synthèse des méthodes appliquées dans les entreprises ayant déjà prouvé leur fonctionnement.
Ouvrage clair et structuré, Accelerate! nous donne un cadre méthodologique qui nous permet d’envisager la transformation comme un processus rapide et agile ; mais surtout comme une dimension humaine et culturelle de l’entreprise nécessaire à l’adaptation constante de cette dernière à un environnement mouvant.