Hector a lu « Le règne des affranchis » de Claude Onesta
Bien plus qu’une histoire de sportifs de haut niveau
Claude Onesta est l’entraîneur le plus titré de l’histoire du sport collectif français. Dans ce livre il retrace son parcours d’entraîneur, succédant à un autre Monsieur du handball français et nous embarque avec lui dans son aventure incroyable.
Mais bien plus qu’une histoire de sportifs de haut niveau, ce livre est un recueil de convictions dont une majorité de managers ou dirigeants d’entreprise peuvent s’inspirer pour engager et motiver leurs équipes. Il peut même être lu comme un des ouvrages de références dans ce domaine.
Il est aussi un véritable manuel tactique et de stratégie : les multiples campagnes se jouent face à de nombreux adversaires qui dissèquent le jeu de l’équipe de France. Mais beaucoup se concentrent sur les éléments techniques alors que la vérité n’est pas là : les professionnels d’un sport ou d’une entreprise sont par nature des experts et la différence sur la ligne d’arrivée tient plus du mental le jour J que de la véritable différence technique. C’est ce que Claude Onesta raconte dans son livre. En même temps que les coups durs, les moments où le mental n’est pas à son maximum et où la meilleure équipe sur le papier passe à côté. Le coach s’auto-flagelle, beaucoup, et en tire des enseignements. Riches.
« Je ne suis pas ici pour vous raconter une histoire de handball, mais une histoire d’hommes et de projet ». Cette phrase résume à elle seule toute la philosophie de Claude Onesta sur le Management. Et réveille toutes les angoisses de ceux qui ont dû un jour se mettre en position d’engager des équipes pour les emmener réaliser des choses incroyables. Car si nous avons tous en tête des figures de management, le besoin de charisme nous semble tout aussi évident que difficile à définir.
Le prédécesseur de Claude Onesta surfait sur un grand sentiment d’injustice et de révolte permanent des handballeurs français, victimes d’une maigre exposition médiatique et d’un faible intérêt de leurs compatriotes. Quite à verser de l ‘huile sur le feu, il garder cette plaie ouverte et génère une revanche chez les joueurs pour atteindre le Graal nécessaire à leur exposition. Le succès est au rendez-vous mais ce mode de management est un fusil à un coup, difficilement exploitable une fois les projecteurs allumés et peu durable dans l’univers de l’entreprise.
Claude Onesta se définit plus comme un « mariole (…) ouvert au dialogue et aux innovations tactiques ». Pour lui le management est « un sport d’équipe ». À la recherche permanente d’un ennemi il privilégie la délégation et l’appropriation d’un enjeu par son équipe et son staff, qu’il responsabilise et au sein duquel il favorise les échanges.
En donnant à chacun sa part du projet, il engage les parties prenantes où chaque position marginale serait vécue comme une trahison. Les grands athlètes sont carriéristes et égo-centrés, ils leur proposent une éthique du bien-faire ensemble qui lui paraît plus importante et surtout plus efficace.
Cette conviction du collectif plus fort est guidée par une autre : au très haut niveau, avec des sportifs de cette classe, les gestes et techniques sont épiés, étudiés, les qualités techniques sont équivalentes dans les autres équipes. L’important est donc ailleurs : il se trouve dans l’imprévu ! Ce petit plus qui fait pencher la balance par la liberté qu’un joueur va s’octroyer de sortir du rang en changeant de registre : « Les joueurs peuvent dépasser leurs fonctions s’ils ne sont pas les exécutants zélés des consignes venus d’en haut ».
Ce mode de management implique plusieurs pré-requis :
- Le choix d’un leader au sein d’un groupe. En sport, il s’agit du capitaine. Volontairement, il ne choisit pas le plus médiatique, les stars accaparent les projecteurs, à quoi bon en privilégier une et créer l’animosité chez les autres? Il n’est pas non plus le magicien de son sport. Mais il est celui au mental d’acier, capable d’être un exemple pour toute l’équipe dans les coups durs et de garder la tête froide dans les moments d’euphorie. Car c’est bien là l’un des plus grands risques des équipes qui gagnent et deviendra la principale paranoïa de Claude Onesta. En entreprise la question du type de manager d’équipe revient régulièrement : est-ce le plus performant, le plus grand expert ? Ou le créateur d’alchimie de groupe nécessaire à la performance ?
- Donner de la lumière à tout le monde. Une équipe performante reste le lieu de rencontre des égos, de gens brillants dans leur domaine et en son coeur se créent des concurrences vivaces… tout l’enjeu du manager / coach est la création d’un environnement collaboratif d’associés tournés vers la performance. Pas besoin d’être amis ! L’axe défensif de son équipe de France est le meilleur exemple : « ils ne partiront pas en vacances ensemble » mais ils sont associés dans un but précis !
- Patience et longueur de temps. L’arrivée d’une étoile ! Voilà un sujet diablement délicat pour un manager d’équipe comme pour un coach d’équipe de France. L’arrivée de Nicolas Karabatic dans le groupe France est représentative de la valeur collective aux yeux de Claude Onesta. Pour privilégier le groupe, proche des rites initiatiques des tribus, il établit un parcours d’intégration pour apprendre et respecter les codes du Groupe, ciment du succès de son équipe. L’évaluation est alors basée sur l’investissement à l’entrainement et l’écoute des conseils des plus anciens. Et la prime est identique pour tout le monde.
À ces fondamentaux, Claude Onesta propose quelques suppléments d’âme : ces joueurs sont des humains, ils vivent avec leurs émotions, il faut donc leur en créer ! La machine ne peut pas être sous pression permanente, elle a parfois besoin de lâcher prise. Chaque déplacement fait donc l’objet de moments simples, de partages autour de la culture française (ndlr : l’apéro), de la famille et des enfants des joueurs. C’est à la fois une décompression et une occasion de montrer aux proches la mission qui est la leur. L’autodérision et les rires font partie de la formule, sans limites.
Enfin, c’est la part des hommes de l’ombre qu’il rend inestimable. Sans eux, l’équipe de France n’est rien. Les joueurs sont remplaçables, pas son staff ! « Plus important que la compétence à tout prix, privilégier l’équilibre humain si subtil qui rassemble ». Les Hommes, toujours les Hommes … pour créer des succès.
« L’enjeu ce n’est pas la médaille mais le chemin pour y parvenir »… Finalement le résultat n’a de valeur que si son équipe et lui ont vécu des moments formidables, fais des efforts tous ensemble.
Et son équipe a gagné, largement. Broyer et concasser sont les termes récurrents de ses campagnes internationales. Alors quels sont les risques que l’édifice ne s’écroule ? Les joueurs sont si forts, quel est le risque ? Doivent-ils céder au sentiment d’invincibilité ? « Si mon équipe est si forte sur le terrain, alors l’ennemi vient d’ailleurs ». Claude Onesta a créé ce groupe à succès, il lance alors toute son énergie pour la protéger des démons de l’euphorie. Quitte à inventer un ennemi invisible pour se maintenir en éveil. Là encore, les rites de tribus prennent sens : construire une bulle, éviter la lumière et empêcher que quiconque ne s’approche pendant les compétitions. Pour éviter que les joueurs ne se perdent dans le terrain de la célébrité. Pour maintenir « l’attention, et la tension », il faut créer des chantiers en permanence, des projets, ou surfer sur chaque sentiment d’insécurité : la blessure d’une joueur cadre, l’article d’un journal étranger qui « promet la foudre » à la prochaine Coupe du Monde…
Et pourtant, l’humain si central dans le système Onesta ne peut s’affranchir à 100% de ses failles. S’il privilégie le dialogue pour construire et faire gagner, il sait que certaines situations imposent des postures plus radicales et qu’il faut « revenir à la figure du chef et au discours rédempteur du censeur ». Au lendemain d’une défaite et jour d’un match décisif, ses joueurs ont perdu l’envie. Il décide de les réunir et de les recadrer. Un par un. « C’était l’intuition du moment, il fallait les bousculer et sortir du schéma participatif ». La lecture de ce livre démontre ces deux aspects fondamentaux du management : pour construire dans la durée, la participation du groupe est primordiale et les « mises au point » doivent sont vitales à des moments bien précis.
Enfin, les histoires de Claude Onesta sont une mine de tactiques diverses et délicieuses pour tout amateur de stratégie et déstabilisation : l’impertinence qu’il prône dans ses défenses, la place de l’esprit d’initiative (« à la répétition je préfère l’intention »), sa relation conflictuelle avec les entraîneurs de clubs « propriétaires des joueurs », l’utilisation de la data pour faire prendre conscience à certaines stars des réalités de leur jeu, et enfin la capacité à tout remettre en cause à un moment clé pour reconstruire et proposer un défi immense à son staff. Car les Hommes veulent accomplir de grandes choses…
Le livre est conclu par une analyse de Pierre Dantin, professeur et directeur de chaire « Société, sports et management » à la faculté des sciences du sport d’Aix-Marseille sur le manager / coach Claude Onesta. Des références bibliographiques complètent ce retour d’expérience du management ! Mais en guise de conclusion, nous vous proposons de dévorer ce livre au plus vite et d’arriver à la page 129 pour le discours d’avant-match de l’équipe de France face à la Croatie. Tout y est : le contexte concurrentiel, l’envie, la tactique et bien sûr l’engagement des Hommes. Encore et toujours…