Théorie néo-institutionnelle, la recherche de légitimité du secteur bancaire – Titouan Martel

La théorie néo-institutionnelle, qui a émergé dans les années 80, explique que les organisations, comme des entreprises ou des institutions publiques, ne fonctionnent pas en vase clos. Elles sont influencées par ce qui se passe autour d’elles et les attentes de la société. Imaginons ces organisations comme des personnes qui se comportent d’une certaine manière pour s’adapter et plaire à leur entourage.

Cette thèse soutient que les organisations sont profondément enracinées dans leur environnement social, comme des arbres dans un écosystème, interagissant et se reliant les unes aux autres. Elles sont façonnées par les interactions sociales, comme des individus qui évoluent selon les normes et les relations de leur communauté.

Plutôt que de simplement réduire l’incertitude inhérente à la réalité, les organisations cherchent souvent une rationalité qui les légitime aux yeux de la société dans son ensemble. De fait, celles qui s’appuient sur des ressources « culturellement approuvées » dans l’optique de gagner en légitimité externe.  


La quête de légitimité organisationnelle

Les institutions financières, face à un ensemble complexe de pressions économiques, sociales, politiques et légales, s’efforcent de se conformer à des normes spécifiques pour gagner en légitimité. Cette quête de légitimité se reflète dans leurs rapports d’entreprise et leurs engagements en matière de responsabilité sociale, démontrant ainsi une intégration profonde et réfléchie des attentes sociétales. Cette dynamique est bien illustrée dans les travaux de Mathews (1993) et Deegan (2002), qui soulignent comment les entreprises, internalisent et répondent aux exigences et aux valeurs de la société pour construire et maintenir leur légitimité.


La recherche de légitimité des banques au sortir des subprimes

Dans le contexte post-crise des subprimes, les banques ont dû naviguer dans un environnement où leur légitimité institutionnelle était gravement compromise et leur image extrêmement fragilisée. Face à une telle crise, les banques ont adopté des pratiques conformes aux nouvelles normes institutionnelles, comme indiqué par les régulations de Bâle III, pour restaurer leur crédibilité et leur stabilité financière (Scott, 2014 ; Suchman,1995). Les travaux de Scott (2014) expliquent comment les institutions financières, en réponse à la crise, ont été soumises à un isomorphisme coercitif, ajustant leurs pratiques pour se conformer aux exigences réglementaires et aux attentes de transparence et de responsabilité accrues. En parallèle, l’étude de Suchman (1995) sur la gestion de la légitimité suggère que les banques ont stratégiquement mis en œuvre des changements pour regagner la confiance du public et des parties prenantes, en s’engageant activement dans des initiatives de responsabilité sociale et de développement durable.

Les entreprises et donc les banques sont perçues comme des constructions sociales, leur existence étant tributaire de l’acceptation continue de la société pour mener leurs activités. Ainsi, il est postulé l’existence d’un contrat social entre la banque et la société dans son ensemble, comme l’ont suggéré Mathews (1993) et Deegan (2002). Selon cette perspective, bien que le but principal de l’entreprise soit de réaliser des bénéfices, elle a également une responsabilité morale d’agir de manière socialement responsable (Guthrie et Parker, 1989). Par conséquent, la survie de l’organisation est menacée si la société perçoit que ce contrat social est violé. 

Un contrat social, caractérisé par des termes explicites et implicites, est défini comme étant en place entre une organisation et le public dans son ensemble, englobant non seulement les actionnaires mais l’ensemble de la société. Force est de constater que la théorie de la légitimité est considérée comme étant orientée vers le système : l’acteur financier et la société dans laquelle elle évolue s’influencent mutuellement.

La légitimité environnementale et RSE nouveau nerf de la guerre dans le secteur bancaire

En adoptant des pratiques de RSE améliorées et en se soumettant à des audits externes, les banques ont cherché à démontrer un engagement renouvelé envers une conduite éthique et responsable (Deephouse et Suchman, 2008), ce qui est essentiel pour la légitimation dans l’ère post-crise. Ces efforts reflètent une adaptation consciente aux pressions normatives et mimétiques, où les institutions financières modifient leur comportement non seulement en réponse aux directives réglementaires mais aussi pour correspondre aux modèles des pairs perçus comme légitimes et responsables.

Les banques, de plus en plus scrutées pour leur impact environnemental (cf les rapports OXFAM et les amis de la Terre sur les banques françaises), voient leur légitimité contestée, notamment en raison de leur financement d’industries aggravant le changement climatique. Scholtens et Dam (2007), montrent que les banques s’efforcent de répondre aux attentes sociétales pour rester légitimes, soulignant combien il est crucial pour elles d’embrasser le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) pour gagner la confiance du public, des investisseurs et des régulateurs. Intégrer lesdits principes dépasse la simple conformité et devient un moyen pour les banques d’acquérir une légitimité sociale et environnementale, enrichissant ainsi leur réputation et leur relation avec les parties prenantes (Jeucken, 2001). Weber et Feltmate (2016) ont démontré que gérer proactivement les risques climatiques renforce la position des banques comme leaders responsables en matière de durabilité. 2 années plus tard, Sulkowski, Edwards et Freeman (2018) ont insisté sur l’importance pour les banques de respecter des critères légaux et éthiques en durabilité, essentiels pour leur légitimation dans une société de plus en plus préoccupée par l’environnement et le social. En somme, pour les banques, adopter des pratiques durables est devenu un vecteur clé pour maintenir leur légitimité et affirmer leur rôle actif dans l’adressage des défis écologiques et sociaux contemporains.

Les institutions financières, suivant la théorie néo-institutionnelle, s’efforcent d’aligner leurs pratiques avec les attentes sociétales et normatives pour conserver leur légitimité, et perdurer en utilisant rapports de développement durable et initiatives de finance verte pour affirmer leur responsabilité environnementale et établir une légitimité écologique (Bansal et Clelland,2004).

En conclusion, cette analyse nous amène à une interrogation fondamentale : dans quelle mesure les banques peuvent-elles réellement incarner un changement positif et durable au sein de la société, au-delà de la quête de légitimité ? Est-ce que leur intégration des principes de RSE et de développement durable signale une transformation réelle de leurs valeurs et de leurs opérations, ou est-ce plutôt une stratégie de façade pour apaiser les critiques et s’aligner superficiellement avec les attentes sociétales contemporaines ?

Pour aller plus loin :

Bansal, P., & Clelland, I. (2004). Talking Trash : Legitimacy, Impression Management, and Unsystematic Risk in the Context of the Natural Environment. Academy of Management Journal, 47(1), 93-103.

Deephouse, D. L., & Suchman, M. (2008). Legitimacy in Organizational Institutionalism. In R. Greenwood, C. Oliver, K. Sahlin, & R. Suddaby (Eds.), The SAGE Handbook of Organizational Institutionalism (pp. 49-77). SAGE Publications Ltd.

Deegan, C. (2002). Introduction: The Legitimising Effect of Social and Environmental Disclosures – a Theoretical Foundation. Accounting, Auditing & Accountability Journal, 15(3), 282-311.

DiMaggio, P. J., & Powell, W. W. (1983). The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields. American Sociological Review, 48(2), 147-160.

Guthrie, J., & Parker, L. D. (1989). Corporate Social Reporting : A Rebuttal of Legitimacy Theory. Accounting and Business Research, 19(76), 343-352.

Jeucken, M. (2001). Sustainable Finance and Banking : The Financial Sector and the Future of the Planet. Earthscan.

Mathews, M. R. (1993). Socially Responsible Accounting. Chapman & Hall.

Meyer, J. W., & Rowan, B. (1977). Institutionalized Organizations: Formal Structure as Myth and Ceremony. American Journal of Sociology, 83(2), 340-363.

Powell, W. W. (1991). Expanding the Scope of Institutional Analysis. In W. W. Powell & P. J. DiMaggio (Eds.), The New Institutionalism in Organizational Analysis (pp. 183-203). University of Chicago Press.

Scholtens, B., & Dam, L. (2007). Cultural Values and International Differences in Business Ethics. Journal of Business Ethics, 75(3), 273-284.

Scott, W. R. (2014). Institutions and Organizations : Ideas, Interests, and Identities. SAGE Publications.

Suchman, M. C. (1995). Managing Legitimacy : Strategic and Institutional Approaches. Academy of Management Review, 20(3), 571-610.

Sulkowski, A. J., Edwards, M., & Freeman, R. E. (2018). Shake Your Stakeholder : Firms Leading Engagement to Cocreate Sustainable Value. Organization & Environment, 31(3), 223-246.

Weber, O., & Feltmate, B. (2016). Sustainable Banking : Managing the Social and Environmental Impact of Financial Institutions. University of Toronto Press.

Rapports  :

Oxfam France, 2021. Banques et climat : le désaccord de Paris

Oxfam France, Amis de la Terre France, 2021. Quoiqu’il en coûte, les banques françaises au secours de l’industrie fossile

Les Amis de la Terre France, Reclaim Finance, 2021. COP26 : la finance française face à l’expansion du pétrole et du gaz.

Les Amis de la Terre France, Reclaim Finance, Institut Rousseau, 2021. Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ?

Oxfam France, 2020. Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré